Après Simone Veil et Nicole Fontaine, l’eurodéputée centriste veut être la troisième femme à présider l’institution strasbourgeoise. Interview.
Propos recueillis par Sébastien Le Fol
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L’actuel président du Parlement européen, l’Allemand Martin Schulz, ayant annoncé sa démission pour candidater à la chancellerie fédérale, contre Angela Merkel, la bataille pour sa succession est ouverte. Au sein du groupe Alde (Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe), Sylvie Goulard est en concurrence avec le Belge Guy Verhofstadt, ancien Premier ministre et actuel président du groupe. Si elle l’emporte au sein de la famille centriste, elle devra ensuite affronter le candidat d’un autre groupe, celui du Parti populaire européen (PPE, conservateur), au sein duquel un autre Français est candidat : Alain Lamassoure. En 37 ans, seules deux femmes – deux Françaises – ont présidé l’institution : Simone Veil (1979-1982) et Nicole Fontaine (1999-2002).
Le Point.fr : Pour justifier votre candidature à la présidence du Parlement européen, vous avancez d’abord un argument qui va réjouir les souverainistes et tous ceux qui dénoncent l’opacité des institutions européennes : le choix du successeur de Martin Schulz se ferait « en catimini »… Quelles sont ces « tractations à huis clos » que vous dénoncez ?
Sylvie Goulard : Ce n’est pas en cachant les problèmes qu’on luttera efficacement contre ceux qui en tirent prétexte pour détruire l’Union européenne. C’est au contraire en les affrontant, tout en expliquant le contexte. Au Parlement européen, la majorité repose sur une coalition. Il n’est pas choquant que le choix du président relève de discussions entre les groupes politiques qui la composent. En revanche, il est crucial que des candidatures puissent émerger, en amont, en toute transparence. Sinon, tout débat de fond est étouffé, la cooptation finissant même par l’emporter sur le mérite. Dans les entreprises, les DRH réfléchissent aux qualités requises pour occuper un poste avant de recruter. Et ensuite on choisit les individus répondant à ces critères objectifs. Pas l’inverse.
Depuis 1979, deux femmes seulement ont occupé ce poste. Le Parlement européen est-il plus ou moins machiste que nos parlements nationaux ?
Voilà un angle qui va moins réjouir les souverainistes : le Parlement européen élu en 2014 compte 37 % de femmes. C’est plus proche de la parité que l’Assemblée nationale (27 %) et le Sénat (25 %) français. L’univers européen n’est pas plus macho que la politique nationale, bien au contraire. Il n’y a néanmoins pas eu de femme présidente depuis plus de quinze ans, alors même que plusieurs députées sont très compétentes.
Le Parlement européen n’est certes pas un modèle de diversité. Mais ne souffre-t-il pas d’abord d’un manque de compétences et d’appétit pour l’Europe des parlementaires choisis par les partis politiques nationaux ?
Imputer au Parlement européen ce qui ne dépend pas de lui ne serait pas correct, en effet. Ce sont les partis nationaux qui, très largement, composent les listes. Parfois, ils envoient à Bruxelles des personnes compétentes et engagées, parfois, ils essaient de recaser des individus en difficulté, ce qui est moins acceptable. Je tiens toutefois à ajouter que le Parlement européen n’est pas seul à souffrir de ce dédain des partis nationaux pour l’Europe. Le plus grave, c’est que nous risquons tous d’en payer le prix un jour. Le déni de réalité est effarant. Au Royaume-Uni, il a précipité la victoire du Brexit, sans d’ailleurs que ses partisans fournissent aucun plan sérieux pour le mettre en œuvre. En France, la primaire de la droite et du centre s’est déroulée en apesanteur par rapport aux enjeux européens. Nous n’irons pas loin en niant les interdépendances et en minant les institutions qui devraient servir à les gérer.
Pourquoi estimez-vous avoir le meilleur profil pour occuper ce poste ?
Mon CV d’abord : sept ans à la commission des Affaires économiques et monétaires du Parlement européen, sur des dossiers financiers ardus ; six à la présidence de l’intergroupe pluraliste de lutte contre la pauvreté, au contact des plus démunis. Vingt-cinq ans entre le ministère des Affaires étrangères français, sur les questions européennes, et la Commission européenne, comme conseillère du président Romano Prodi. Plusieurs livres de pédagogie sur l’Europe, dont L’Europe pour les nuls, et quatre années de présidence du Mouvement européen France.
Mais l’essentiel est peut-être ailleurs. Au moment où se creuse un fossé Nord-Sud, lourd de rivalités nationales, je mettrai en avant ma connaissance approfondie de l’Allemagne et de l’Italie, mes réseaux par-delà les frontières. L’actuel président du Parlement européen, Martin Schulz, polyglotte, a beaucoup fait pour être présent dans les médias. Étant quadrilingue, je pourrai également intervenir dans des débats publics des pays les plus peuplés de l’UE ainsi qu’au Royaume-Uni, ce qui est crucial dans la perspective du Brexit.
Dans une Europe qui se droitise, votre modération n’est-elle pas un handicap ?
Pour contribuer à rapprocher des positions, je ne crois pas que les plus radicaux soient les plus utiles.
Quels seront les enjeux les plus cruciaux pour le Parlement en 2017 ?
J’en citerai trois : regagner la confiance des citoyens, lutter d’arrache-pied contre le nationalisme, réussir le démarrage des négociations avec le Royaume-Uni sans les laisser pour autant mobiliser toutes les énergies. Après les élections en France et en Allemagne, il faudra aider les deux pays à reprendre leur rôle de leader, au service de l’Europe entière.
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